La justice suisse a condamné mercredi l’ancien ministre de l’Intérieur gambien Ousman Sonko à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité sous le régime de l’ex-dictateur Yahya Jammeh.
Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur de la Gambie, est reconnu coupable de crimes contre l’humanité. Le Tribunal pénal fédéral, qui siège à Bellinzone, a condamné l’intéressé à 20 ans de prison pour actes de torture, homicides et détentions arbitraires visant à réprimer les opposants du régime. Une expulsion du territoire d’une durée de 12 ans a également été prononcée et il devra verser un tort moral à ses victimes. Une seule des dix parties plaignantes, qui est domiciliée en Allemagne, s’est déplacée pour assister à cette lecture. Les autres n’ont pas fait le trop coûteux voyage depuis Banjul, mais leurs avocats étaient là pour les représenter.
Philippe Currat, avocat d’Ousman Sonko: « Il n’y a pas de caractère systématique et le petit nombre de victimes, pour chaque épisode pris séparément comme au total, n’atteint pas le seuil requis pour considérer que ce puisse être une attaque généralisée … nous avons démontré que les exactions commises au détriment des victimes ne sont pas imputables à Ousman Sonko mais à la NIA [Agence nationale de renseignements] et aux Junglers [groupe paramilitaire], qui n’ont jamais été ni sous son autorité ni sous son contrôle effectif ».
Reed Brody, un avocat de la Commission internationale des juristes qui travaille avec les victimes de Jammeh et qui a suivi le procès : « Ce procès va donner un nouvel élan aux efforts déployés en Gambie pour poursuivre les crimes les plus graves du régime de Yahya Jammeh, des efforts qui, après un long retard, s’accélèrent enfin »
Il avait été arrêté le 26 janvier 2017 en Suisse où il avait demandé l'asile après avoir été démis de ses fonctions ministérielles qu'il a occupées pendant 10 ans, jusqu'en septembre 2016. En Suisse, c'est la première fois que la notion de crime contre l'humanité - des crimes commis dans le cadre d'une attaque de grande ampleur visant des civils - était abordée en première instance. La Cour des affaires pénales de Bellinzone (TI) a estimé que les assassinats, les séquestrations et les tortures retenus contre l'ancien ministre s'inscrivaient dans un contexte d'attaques systématiques contre la population civile et relevaient donc des crimes contre l'humanité. En revanche, elle a abandonné les accusations de viol. Selon la défense, les conditions du crime contre l'humanité ne sont pas remplies. Elle estime que les faits retenus par le parquet étaient des actes isolés dans lesquels l'ex-ministre de l'Intérieur ne porte aucune responsabilité. Elle considère aussi que certains éléments de l'acte d'accusation échappent à la législation suisse car antérieurs à 2011, date depuis laquelle la Suisse se reconnaît une compétence universelle pour juger certains crimes graves en vertu du droit international. C'est également en 2011 que les crimes contre l'humanité ont été inscrits dans le droit suisse. Un argument balayé par la cour.
Le gouvernement gambien a endossé en 2022 les recommandations d’une commission qui s’est penchée sur les atrocités perpétrées sous l’ère Jammeh. Les autorités ont accepté de poursuivre soixante-dix personnes, dont M. Jammeh, parti en exil en Guinée équatoriale en janvier 2017. En avril, le Parlement gambien a voté deux projets de loi visant à créer le bureau du procureur spécial chargé de poursuivre les cas identifiés par la commission et prévoyant un tribunal spécial.